ÁÈ×ÓÐÈÍ Í. ß. [ÈÀÊÈÍÔ]

Bulletin du Nord.

JOURNAL SCIENTIFIQUE ET LITTERAIRE, CONTENANT:

DES MEMOIRES ET NOTICES, DES ANALYSES ET EXTRAITS D’OUVRAGES NOUVEAUX; DES VARIETES ET MELANGES, DES ANNONCES BIBLIOGRAPHIQUES, ETC. ETC.

publie a Moscou.

XIe. Cahier. = Novembre 1829.

Ce Journal parait tous les mois par cahiers de 5 a 6 feuilles d’impression. Le prix de l’abonnement aux douze cahiers, est de 25 roubles ass. pour Moscou, 30 r. pour St.-Petersbourg et l’interieur.

La distribution de ce journal se fait au bureau du Telegraphe de Moscou, a la grande Dmitrovka, N° 27.

AVIS.

Tout ce qui concerne le journal doit etre adresse au comptoir de l’imprimerie de A. Semen, a la Kislovka. [167]


Observations sur les traductions et les critiques litteraires de M. de Klaproth, par le R. P. Hyacinthe.

M. Klaproth avait deja, dans plusieurs occasions, dirige ses attaques contre moi, comme pour m’obliger a descendre dans l’arene, mais j’avais toujours regarde ces provocations comme les ebats d’un enfant qui veut essayer ses forces, et n’avais point voulu perdre mon temps a y repondre. Cependant, dans ses dernieres observations sur les memoires de la Mongolie que j’ai publies en 1828, on voit deja qu’il veut’ le prendre sur le ton d’un homme fait, et entierement consomme dans son art. C’est pourquoi, desirant tirer le public de l’incertitude ou pourrait le jeter l’accent doctoral de notre Aristarque, je me suis finalement decide a mettre, au jour ces trois articles, qui suffiront pour faire apprecier a leur juste valeur ses connaissances comme orientaliste. [168]

I.

M. Klaproth ayant appris, que j’avais l’intention de publier une description du Tibet traduite du Chinois, a voulu me prevenir et a donne en consequence un echantillon de son travail. Voici sa traduction mise en regard de la mienne.

TA-TSIAN-LOU.

Traduction de M. Klaproth.

Traduction litterale.

Le nom de Ta-tsian-lou signifie forge de fleches. D’apres une ancienne tradition, qui se conserve dans le pays, Wou-cheou, general des Chou-han, dirigea ses armes contre les contrees meridionales, et envoya un de ses lieutenants ici, qui y etablit une forge pour faire des fleches. Ta-tsian-lou est, d’apres la tradition, le nom du lieu, ou le general Go-ta fonda une forge de fleches, lorsque le prince Wou-heou, de la dynastie des Hans, l’envoya pour faire la guerre dans les contrees meridionales.
Le territoire de cette place a nulle li de longueur et se trouve sous [169] l’influence des etoiles Tsing et Kouei. Il est situe a mille lys du chef-lieu de la province, sous les [169] constellations de Tsing et de Kouei (Tsing repond a la constellation des Jumeaux ? ? ? ? ? ? et Kouei a celle du Cancer ? ? ? ?.).
C’est ici le point le plus occidental de la Chine, qui touche au plus oriental des contrees occidentales. Le climat y est ordinairement froid, et les chaudes journees sont rares. Le pays est herisse de montagnes, de precipices et de rochers escarpes, entre lesquels coule le Lou-ho dans un lit profond. Ce lieu est sur la ligne, qui separe la Chine des contrees occidentales, Le climat y est en general froid, et les chaudes journees y sont rares. Tout le pays est herisse de hautes montagnes avec des sommets pointus et des rochers perpendiculaires, a travers lesquels coule le Lou-ho, dont les bords sont escarpes. Ce site est tres fortifie (par la nature).
Anciennement cette contree appartenait au royaume de Nan-tchhao Elle est limitrophe avec les nomades du lac Thsing-hai (ou Khouk-hou-noor). [170] Ce pays appartenait anciennement auroyaume de Nan-tchao, et dans la suite a l’Aimak du Khoukhou-noor. [170]
Sous le troisieme empereur des Ming, en 1407, Ouang-gian-thsan, chef de ce pays, s’etant distingue en combattant Ming-yu-tchin, fut fait gouverneur hereditaire de Ming-tching et des pays nommes Tchhang-hosi, Yu-thoung, et Ning-youan. Cette dignite resta sans interruption dans sa famille, jusqu’a l’etablissement de la dynastie Mantchou sur le trone de la Chine. L’an 5 (1407) du regne Young-lo de la dynastie des Ming, Avang-kian-thsan fut promu, en recompense des services qu’il avait rendus a la Chine dans la guerre contre Ming-yu-tchin, a la dignite de chef hereditaire du district de Ming-tching et des pays de Ho-si, Yu-thoung et Ning-youan. On voulait seulement alors tenir ces contrees dans un etat de dependance; mais depuis l’etablissement de la dynastie des Thsing sur le trone de la Chine, cette famille commenca a etendre sa puissance, et ce pays devint encore plus devoue a l’empire.
En 1700, Tchhang-dze-dzy-lie, chef d’une horde de Fan ou Tubetains, s’etant empare du canton de Ta-tsian-lou, [171] l’empereur ordonna a Thang-hi-ckoun, commandant les forces militaires dans le Sseu-tckhouan, de marcher contre lui et de le punir, c’est ce qui fut execute. Le general Mantchou arriva a Ta-tsian-lou et y retablit la tranquillite. Les tribus Fan se soumirent, et ce pays fut enclave dans les frontieres de l’empire. L’an 39 (4700) du regne Khang-hi, Tchhang-dze-dzy-lie, chef militaire nomme par le Tibet, ravagea ce pays [171] et s’en rendit maitre. Thang-si-choun, general des troupes chinoises de la province de Sseu-tchhouan, s’etant mis en campagne, defit completement Tchhang-dze-dzy-lie, et arriva a Ta-tsian-lou, ou il retablit la tranquillite. Les Fan, l’accueillirent avec transport et se soumirent a lui.
Les descendons de l’ancien chef Sira Djakba et de sa femme Gounga y avaient gouverne jusqu’a Kian-thsan-te-tchhang, qui vint resider a Ta-tsian-lou. Thou-sse (Thou-sse signifie chef indigene.) Sila Djakba, n’ayant pas laisse de successeur, son epouse Goungue prit les renes du gouvernement. Quant a Kianthsen Detchhang, il avait, deja transfere sa residence a Ta-tsian-lou.
Son fils Gialtsan Dedzin fut retabli dans la [172] dignite de Thou-szu de Ming-tching, et devint chef de treize villages de Ta-tsian-lou. On nomma aussi des Thou-szu pour les Fan ou Tubetains nouvellement soumis, en distribuant ces peuples par classes de mille et de cent familles. Il eut pour successeur son fils Tsialthsan [172] Dethsin, Thou-sse du district de Ming-tching. Ce meme chef gouvernait encore dans le Ta-tsian-lou treize districts Tangoutains, et avait l’inspection sur les Thou-sse, les Chiliarques et les Centeniers nouvellement soumis.
On compte dans tout le pays 22,884 familles d’anciens et de nouveaux habitans, qui envoient a l’empereur un tribut consistant en chevaux, et paient les impots annuels en productions du pays ou en argent. Ces impots sont percus par le Thou-szu de Ming-tching. 22,884 familles indigenes d’anciens et de nouveaux sujets sont obligees de presenter annuellement a la cour un certain nombre de chevaux, et plusieurs varietes de froment au bureau de la tresorerie; le Thou-sse recoit en retour une somme d’argent, qu’il est tenu de restituer au gouvernement.
Les murs et les fortifications de Ta-tsian-lou sont en pierres de taille. Les habitans sont [173] Chinois et Tubetains; ils campent ensemble en dehors du fort. La forteresse de Ta-tsian-lou est entouree d’un mur de pierre, et habitee par des Chinois [173] et des Tibetains.
C’est par la, que les officiers et les corps de troupes qu’on envoie au Tubet, sortent de la Chine. Les commissaires, qui resident au Tibet, et les nouvelles troupes qu’on y envoie pour relever les anciennes, sont obliges de traverser ce lieu en sortant des frontieres.
Il y passe aussi une grande quantite de the; ce commerce se fait sous l’inspection d’un employe du gouvernement, qui reside a Ta-tsian-lou. [174] Dans les pays situes au-dela de Ta-tsian-lou, le the est un article d’absolue necessite; on l’y apporte de l’interieur de la Chine, et Ta-tsian-lou sert de principal entrepot a cette denree. Il s’y trouve actuellement un commissaire, charge de la direction des affaires des etrangere et prepose aux vivres. Il y avait anciennement un autre commissaire, specialement charge de la perception des droits de douane; [174] mais cet emploi est maintenant aboli, et il est devenu une des attributions du premier commissaire.

Quoique les habitans de ce pays professent le Bouddhisme et qu’ils soient tres-avides de gain, cependant la bonne foi et la justice (des Chinois) a leur, egard les maintiennent dans la sujetion. Ce sentiment d’obeissance est inne en eux, et ils le conservent jusqu’a la mort. Ils sont d’autant plus devoues a notre gouvernement, que depuis long-tems ils sont faconnes a notre legislation.

LITHANG.

LITHANG.

Lithang est a 680 li a l’ouest de Ta-tsian-lou. Le climat y est froid: il y tombe [175] beaucoup de pluie et de neige. Lithang est situe a plus de six cents lys a l’ouest de Ta-tsian-lou. Le climat en est froid; [175] il y tombe beaucoup de pluie et de neige.
Depuis long-tems un chemin, qui passe, par de tres-hautes montagnes et par des precipices affreux y conduit les tribus nomades du Thsing-hai ou du lac Khoukhou-noor par ce bourg au Tubet (C’est comme si l’on passait par Lyon pour se rendre de Strasbourg a Paris, sans compter que la toute du Khoukhou-noor a Lithang est presque impraticable.). Cette ville appartenait anciennement aux Aimaks du Khoukhou-noor. Le pays est coupe par des lignes de hauteurs et des masses de rochers, et comme on ne peut arriver dans la ville que par des chemins tortueux elle est regardee comme une des places les plus importantes du Tibet.
Lithang est ceint d’un rempart en terre; c’est la residence d’un munitionnaire. Lithang est entoure d’un rempart de terre. On y a etabli un munitionnaire.
Les habitans sont bouddhistes et gouvernes par un grand lama de la secte Jaune, appele Kambou. [176] Les habitans sont Bouddhistes. Il s’y trouve un lama Kombou, chef de la secte Jaune, et qui est tres-considere dans tout le district. La [176] direction des affaires est confiee a deux chefs, un laique et un lamaique.
En 1708, le grand Lama Galdzang Ghiamtso s’etant regenere a Lithang, fut Conduit au temple de Tar a Si-ning; plus tard le Tubet fut conquis par Tsering Dondob, general de Tsevang Arabdan, prince de Dzoungar. L’an 47 du regne Khang-hi (1708), le Dalai-Lama s’etant regenere a Djamadjoung, fut transfere de ce lieu au monastere de Tha-ell-sse dans le departement de Si-ning-fou. Le Tibet fut conquis plus tard par Tsering Dondjub, envoye de la part de Tsevang Arabdan, prince de Djoungarie.
A cette nouvelle l’empereur Khang-hi ordonna en 1718, a Wen-phou, general de ses armees, de se mettre a la tete du corps de troupes mandjous et chinoises, de passer par la barriere de Ta-tsian-lou, de traverser le Yaloun-gkiang, et de se diriger [177] sur le Lithang. L’an 57 du regne Khang-hi (1718), Wen-phou, chef de la garde, etant parti de Ta-tsian-lou a la tete de troupes mandjous et chinoises, franchit les frontieres, et apres avoir passe le Yairoung, s’avanca directement vers Lithang et y publia les bontes [177] et la grandeur de son souverain.
Comme les habitans de cette contree etaient d’un caractere pacifique, on y etablit des magasins et la caisse militaire, et on y prepara tout ce qui etait necessaire pour que la grande armee put poursuivre sa marche a l’ouest. Ayant ainsi rassure les habitons de Lithang, il y ramassa des vivres et de l’argent, en attendant que la grande armee se portat vers l’ouest.
L’annee suivante, le general en chef de l’armee de l’occident campa avec ses troupes a Ta-tsian-lou. Le commandant de l’avantgarde passa par Lithang et entra dans le Tubet (C’est comme si l’on disait qu’il passa par Metz et entra dans la France.). L’annee suivante, le general en chef de l’armee d’ouest, nomme Karbi, s’arreta avec ses troupes a Ta-tsiau-lou, tondis que le commandant de l’avantgarde entra dans le Tibet et passa par Lithang.
Sur ces entrefaites, les Mongols du Khouk-hou-noor envoyerent Davalang Tchounba a [178] la tete d’un parti pour s’emparer de Lithang, mais il fut botta et tue. Davalang Djanba fut alors envoye du Khouk-hou-noor, avec la commission secrete de [178] defendre Lithang, et il convint avec le commandant de cette place de resister aux Chinois; mais l’armee chinoise ayant attire par rose ces deux chefs dans son camp, les fit perir, et le Kamba Lama fut destitue.
Alors on changea le mode de gouvernement, et on donna au Kambou Lama l’administration de ce pays. [179] Les habitans, effrayes par la presence des troupes, proposerent (aux Chinois) pour remplacer leurs chefs, des hommes connus par leur devouement a la Chine, et l’on nomma un nouveau Kamba,ainsi qu’un commandant militaire en qualite de son adjoint.

(M. Klaproth donne ensuite l’extrait d’un autre ouvrage, en omettant de traduire la fin de l’original, qui, a dire vrai, n’est pas tres-interessante.) [179]

BATHANG.

BATHANG.

Bathang est a 545 li au sud de Lithang. Le pays est beau, le climat chaud, et le ciel serein comme en Chine. Cependant il n’y a ni villes ni habitations murees. Un inspecteur des vivres reside dans ce lieu. Bathang est situe a 545 lys au sud de Lithang. Le sol en est fertile; la situation delicieuse, le climat tempere, et les saisons les memes qu’en Chine. Ce lieu n’a point de mur railles. On y a etabli un munitionnaire.
Le Ghiaga sort de ces montagnes et se reunit au Kin-cha-kiang. Parmi les montagnes, la plus elevee est le Tziaka, Toutes les rivieres vont se jeter dans le Kin-cha-kiang.
Autrefois ce canton appartenait au Khan Tubetain de H’lassa. Il y a ici des temples de lama, dont le chef est un Kambou de la secte Jaune, qui recoit l’institution du Dalai-Lama. Le chef civil du pays etait un chyba (ou dyba) nomme par le Khan de H’lassa; il etait [180] change apres un certain laps de tems. Bathang appartenait auparavant a H’lassang, Khan du Tibet. Il y a un grand monastere, ou reside un Kambou dirigeant la secte Jaune, et qui etait a la nomination du Dalai-Lama; mais l’officier qui gouvernait le pays, etait nomme par H’lassang-Khan, et etait change [180] apres un terme fixe.
Cet usage subsistait depuis une longue suite de siecles, quand, en 1748, le general Ven-phou, a la tete de l’armee chinoise, alla de Lithang a Taso en passant par Bathang. Il y trouva un chyba (M. Klaproth ne sachant pas que ce mot etait ici ecrit par abreviation, a lu chi au lien de thie.) et des pretres qui gouvernaient le peuple; il fit mettre les derniers sur le tableau des contribuables de l’empire. Cet usage subsista pendant quelques generations; mais l’an 57 du regne Khang-hi (1718), Wen-phou, commandant de la garde, etant parti de Lithang avec des troupes pour se rendre a Bathang, arriva a Taso, ou le Theba, accompagne du clerge et du peuple, vint le trouver dans son camp et lui exprima son desir de se soumettre a la Chine.
Il marcha encore plus a l’ouest et soumit le pays; cependant les Tibetains mettaient beaucoup de lenteur au transport des vivres necessaires a l’armee. [181] Pendant la guerre de l’Ouest, les Tibetains se montrerent sincerement disposes a nous servir, et nous fournirent des vivres avec empressement. [181]
En 1726, le general en chef des troupes stationnees dans le Szut-chouan et dans le Thian (ou la partie orientale de Yun-nan) reunit a ces deux provinces qui il commandait, un territoire, considerable, qu’il detacha du Tubet. L’an 4 du regne Young-tching (1726), les commandans des troupes chinoises stationnees dans les provinces de Tcbouan et Tian, revenant du Tibet avec l’armee, se reunirent dans Bathang pour regler de concert les limites des susdites provinces.
L’annee suivante, on envoya des commissaires qui, avec ceux du Dalai-Lama, etablirent la ligne de frontiere du Tubet a Nan-dun et au mont Ning-tsing-chan, appele aussi Mangling. L’annee suivante, des officiers furent envoyes pour determiner les terres qui devaient etre cedees au Dalai-Lama; ces commissaires eleverent donc un monument de pierre sur le mont Ning-tsiang-chan, autrement appele Man-ling, situe pres de Non-doun appartenant au Tibet, et retablirent ainsi la ligne de la frontiere. [182]
Voy. Magasin Asiatique. Tom. II. N° 3 du voyage a travers le Tibet. [182]  

II.

La legislation du Japon et la forme de son gouvernement offrent plusieurs traits de ressemblance avec celles de l’empire chinois, et l’ecriture ainsi que les ouvrages classiques des deux, peuples sont absolument les memes. Cela prouve d’une maniere incontestable, que les premiers reformateurs et legislateurs du Japon furent des Chinois. Cependant M. Klaproth a cherche encore des preuves historiques a l’appui de cette verite, et il vient de les publier dans une brochure, qu’il a intitulee: Memoire sur l’introduction et l’usage des caracteres chinois au Japon. 1829.

M. Klaproth en parlant de la premiere colonie envoyee par les Chinois dans le Japon, rapporte cet evenement au milieu du VII siecle av. J. C., a l’epoque ou Sin-mou, qu’il regarde comme Chinois d’origine, fonda avec ses trois freres l’empire du Japon. Il place la seconde en l’an 209 av. J. C., ou un alchimiste chinois fut envoye par son souverain, a travers la mer Orientale, a la recherche de plantes qui avaient la vertu de produire l’immortalite. Cet envoye arriva la meme annee au Japon avec trois cents garcons et trois cents filles, et s’y etablit pour toujours. [183]

Les circonstances qui accompagnerent la premiere migration, sont inconnues meme a M. Klaproth; quant a ce qu’il dit de la seconde, nous observerons, que l’empereur Thsin-chi-houang, sous le regne duquel il pretend qu’elle arriva, mourut l’an 210 av. J. C., et par consequent un an avant le depart de cette colonie. Au reste, comme il ne s’agit ici que d’un zero mis a la place d’un 9, il est permis de regarder cette faute comme purement typographique.

Voici comment cet evenement est rapporte dans les annales chinoises, intitulees Thoung-kian-kang-mou: «L’an 29 de son regne (210 av. J. C.) Thsin-chi-houang, voyageant dans son empire, arriva sur les cotes de la mer Orientale (dans la province actuelle de Chan-toung). Soung-wou-tsi et Sian-meng Tseu-kao, habitans de cette contree, avaient autrefois annonce, qu’il existe un moyen de produire l’immortalite sur la terre par la metamorphose du corps, comme il arrive aux anachoretes, qui ne meurent point. Les rois de Yan et de Thsi (les provinces actuelles de Tchi-li et de Chan-toung) crurent a leurs paroles, et envoyerent a la recherche des iles qui possedaient ce tresor, appelees Phong-lai, Fang-tchang et Ing-tcheou, qui etaient, disait-on, situees dans le Po-hai; mais malheureusement les vents contraires ne permirent pas d’y aborder. [184] Cependant quelques-uns furent plus heureuse, et rapporterent qu’effectivement ces iles etaient habitees par des anachoretes immortels, et nourrissaient des plantes qui produisaient l’immortalite. L’alchimiste Sui-chi proposa donc (cette annee) a l’empereur Thsin-chi-houang, de l’envoyer avec quelques milliers de garcons et de jeunes filles a la, recherche de ces iles; mais la flotille, qui lui etait confiee, fut dispersee par la tempete. (A son retour) il rapporta, qu’il n’avait pu y aborder, mais qu’il les avait apercues de loin». (Voy. Tom. II. Cah. 30, feuillet 34, verso.)

Le Po-hai, dont il est parle dans ce passage, est ce que nous appelons aujourd’hui la mer Jaune ou golfe de Coree, et quant aux trois iles, elles n’ont jamais existe. Or, comment se fait-il que M. Klaproth dise precisement le contraire de ce qui est rapporte dans l’hisioire? Le voici. M. Klaproth ne s’est pas donne la peine de lire les annales chinoises, je veux parler de celles qui sont ecrites en langue chinoise, et non en francais; mais il a puise ce recit dans les Fastes de la monarchie chinoise par le P. Du Halde, ou cet evenement est raconte de la maniere suivante: «Un capitaine, qui commandait une petite flotte qu’il avait conduite vers [185] quelques iles du Japon, etant venu rendre compte de son expedition a l’empereur, lui persuada que rien ne serait plus avantageux a son etat, que d’y avoir un etablissement pour le commerce, et afin de l’engager plus efficacement a y envoyer une colonie, il lui fit entendre, que dans une de ces iles, l’on trouvait un remede souverain contre toutes sortes de maladies et meme contre la mort.

L’empereur qui aimait a vivre. et a jouir long-temps du fruit de ses conquetes, se laissa aisement persuader ce qui flattait si fort ses desirs. Il lui confia des vaisseaux, des soldats et trois cents jeunes hommes avec autant de filles en age d’etre mariees.

Ce capitaine fit voile vers les terres du Japon; il aborda a une ile, ou il batit une ville, et il s’en declara le souverain. Ce pays se peupla en peu de temps, et les habitans se sont toujours fait un honneur de tirer leur origine ne de la nation chinoise». Voy. Descr. de l’empire Chin. Tome I. pag. 340, in 4°. La Haye.

Si M. Klaproth, au lieu de chercher a acquerir de la renommee a si peu de frais, en copiant les ouvrages d’autrui, avait bien voulu consulter les annales chinoises et verifier l’emprunt qu’il a fait au P. Du Halde, il aurait ete le premier a reconnaitre la faussete de ses recits, et n’aurait pas ainsi encouru le reproche d’avoir [186] trompe le public. Voici en outre un passage relatif a cet evenement qu’il aurait pu y trouver; il est extrait de l’histoire nommee Ko-iu, ecrite dans le IV siecle av. J. C. «L’an 3 du regne de Youan-Wang (473 av. J. C.), Fou-tchha, prince de Wou, fut vaincu par Keou-thsian, prince de Youe, et se donna la mort». Tchou-si, auteur du Thoung-kian-kang-mou, qui vivait dans le XII siecle de notre ere, ajoute a ce sujet, que «les parens de Fou-tchha mirent a la voile avec toute la cour pour se rendre au Japon, et qu’ils sont regardes comme les fondateurs de la dynastie qui y regne actuellement». Voy. le Thoung- kian-kang-mou, Tom. I. cah. 18. feuillet 20, verso.

La principaute de Wou, dont il est ici parle, forme aujourd’hui le departement de Sou-tcheou-fou dans la province de Kiang-sou, et la principaute de Youe, le departement de Chao-sing-fou dans la province de Tche-kiang. Si M. Klaproth, je le repete, s’etait occupe de lire l’histoire ancienne de la Chine, il aurait encore appris, que le mode de gouvernement actuellement subsistant au Japon est absolument le meme, que celui qui existait en Chine dans le cinquieme siecle et les suivans av. J. C.; car Fou-tchha etait a cette epoque en Chine a l’egard de son souverain, ce que le Koubeau est maintenant au Japon par rapport au Dairi. [187]

Il se trouve encore dans la brochure de M. Klaproth quelques paradoxes, au milieu desquels on doit toutefois convenir qu’il se rencontre plusieurs donnees interessantes pour l’histoire; mais combien peu de personnes sont en etat de demeler dans ses ecrits le mensonge de la verite? Chacun suppose, que M. Klaproth ne publie que les choses qu’il sait a fond, ou qui sont le resultat de ses recherches, et s’en rapporte aveuglement a tout ce qu’il ecrit; mais aussitot que l’on decouvre en lui l’absence totale, des qualites indispensables a un ecrivain, et son peu de connaissance des langues orientales, dans lesquelles il se donne pour un erudit; enfin les efforts qu’il fait pour suppleer a ce qui lui manque, par une singuliere jactance, et a l’aide de ses adroits plagiats, il est tout naturel, qu’apres cela on craigne d’ajouter foi, meme a ce qu’il y a de bon et de vrai dans ses ecrits.

III.

La gazette allemande intitulee Ausland contient, dans un de ses derniers numeros, un article de M. Klaproth au sujet des Memoires de Mongolie, que j’ai publies sur la fin de l’annee derniere. Apres avoir jete un coup d’oeil sur les, 1, 2 et 4-e livres, il arrete son attention sur le troisieme, qui comprend l’abrege de l’histoire des Mongols. [188] Voici comment il s’exprime: «1. Le troisieme livre des Memoires contient une soi-disant histoire du peuple Mongol, mais il s’en faut bien que ce titre puisse lui convenir; car ce n’est autre chose qu’un court apercu des evenemens, qui ont eu lieu, depuis les temps les plus recules, chez des peuples entierement differens d’origine, tels que les Turcs, les Mongols, les Toungous et les Koreens, qui habitent dans la vaste Mongolie. Tous ces evenemens sont connus depuis long-temps en Europe, d’apres l’histoire des Huns par Deguigne. Ce dernier a confondu la plupart des peuples, dont nous venons de parler, en les comprenant a tort sous la denomination commune de Huns ou Turcs. M. Bitchourin est tombe dans une erreur non moins grossiere, en les prenant tous pour des Mongols.

2. Pour appuyer cette etrange assertion, il se permet de defigurer la plupart des noms propres et jusqu’au texte meme, suivant en cela l’exemple des savans de la cour de l’empereur Kiang-loung, qui se sont permis de semblables alterations dans les termes relatifs a l’histoire et a la geographie, parce qu’ils manquaient entierement de critique. Ils avaient deja avant ce temps imagine 32 differentes especes d’ecriture pour la langue Mandjou, qui servirent a imprimer le panegyrique que l’empereur [189] Kiang-loung avait compose en prose a l’honneur de la ville de Mougden.

3. Comme les alterations que s’est permises l’Archimandrite peuvent jeter un faux jour sur. l’histoire de ces peuples, j’ai resolu d’en publier incessamment la refutation avec l’addition du texte».

1. Pour repondre a la premiere observation de M. Klaproth, je dois dire, que sa mauvaise humeur vient uniquement, de ce que l’abrege de l’histoire des Mongols, que j’ai extrait integralement des annales chinoises, dans mes Memoires sur la Mongolie, revele au grand jour les paradoxes insoutenables, sur lesquels ils entreprit de fonder son systeme absurde sur l’origine des peuples qui ont habite la Mongolie, dans son ouvrage intitule: Tableaux historiques de l’Asie, Les Mongols ont entretenu, depuis les temps les plus recules jusqu’a nos jours, des Relations immediates avec la Chine, et les Chinois ont ecrit leur histoire conjointement avec la leur propre, non point d’apres des renseignemens prives, mais par l’injonction du gouvernement et d’apres les actes publics. En outre, on ne voit pas que les annales chinoises, pendant les vingt derniers siecles, aient jamais confondu entre eux les Toungouses, les Mongols et les Turcs, et les limites qu’elles leur ont constamment assignees dans leurs pays respectifs, sont les [190] memes encore aujourd’hui, c’est-a-dire, que les Tongouses ont toujours habite dans le Mandjou actuel, les Mongols dans la Mongolie, et les Turcs dans le Turquistan et dans les contrees plus a l’Ouest. Quant aux Koreens, il n’y eut jamais qu’un seul peuple de ce nom. Les Koreens parlent un Chinois corrompu, d’ou l’on peut conclure, que ce peuple s’est forme, des la plus haute antiquite, du melange des Toungouses avec des colons chinois.

2°. Pour ce qui regarde la seconde observation de M. Klaproth, il est necessaire de donner quelque eclaircissement a ce sujet. La Chine fut gouvernee, avant la dynastie actuellement regnante, par trois maisons (Avant ces trois maisons, la Chine septentrionale avait deja ete gouvernee, dans les V et VI siecles, par la dynastie Mongole nommee Toba. Mais domme les Mongols n’avaient point alors d’ecriture, il n’existe pas de monumens pour pouvoir verifier les noms propres, qui se rencontrent dans l’histoire de cette dynastie.) etrangeres, celles de Liao, Kin et Youan; la premiere et la derniere de ces maisons etaient Mongoles, et la seconde Toungouse. L’histoire de ces dynasties est ecrite en langue chinoise. Les Chinois, en transportant dans leur langue les noms propres etrangers, au lieu de se conformer a la prononciation respective de ces noms, avaient autrefois coutume [191] de choisir des mots de leur langue qui offraient, suivant le cas, un sens honorable ou injurieux, ce qui les obligeait de defigurer entierement les noms propres. C’est pourquoi l’empereur Choun-ti (du regne nomme Kiang-loung) institua une commission chargee de revoir les trois histoires dont nous avons parle. Cette commission se composait de savans chinois, mandjous, mongols, tibetains et turquistans. Elle publia un dictionnaire historique dans les trois langues; mandjou, mongole et chinoise, ou tous les noms propres etrangers appartenant a l’histoire des dynasties Liao, Kin et Youan, furent restitues en langue chinoise au moyen des mots les plus rapproches de leur prononciation. Cette correction n’offre aucune defectuosite dans les mots qui concernent les peuples limitrophes de la Chine, tels que les Mongols, Tibetains, Mandjous et Turquistans orientaux; mais les noms qui se rapportent aux pays eloignes, tels que la Perse, la Russie, etc., ont ete transcrits d’apres l’idiome mongol, sans s’astreindre a une exactitude rigoureuse dans l’emploi des lettres. C’est d’apres ce dictionnaire, que M. Klaproth accuse les Chinois d’avoir corrompu les termes relatifs a l’histoire et a la geographie, et cela uniquement parce qu’il n’a pas ete le premier a communiquer ces renseignemens aux savans d’Europe. Le ton d’assurance avec lequel M. [192] Klaproth tranche la question, pourrait faire croire a quelques personnes, qu’il est tres-verse dans la connaissance des langues de l’Asie orientale; mais il s’en faut de beaucoup que cela soit ainsi. M. Klaproth sait assez bien le Chinois et traduit passablement de cette, langue, surtout les pieces qui ont deja ete traduites par d’autres avant lui. Pour le Mandjou, il en a une teinture tres-superficielle; toutes les pieces dont il a donne la traduction dans la chrestomathie mandjou avaient deja ete traduites par MM. Remusat, Leontieff, et autres; et quant aux langues mongole, tibetaine et turque, toute sa science se borne a epeler les mots de ces langues, pour pouvoir dans l’occasion s’accrocher a quelque expression, qu’aura employee un savant orientaliste et chercher a la refuter par des suppositions arbitraires (On peut voir un echantillon de la maniere dont M. Klaproth fait des traductions des langues orientales, dans la Lettre du Tutundju-Oglou-Moustafa-Aga, veritable philosophe turk, publiee en 1828, a St. Petersbourg, pag. 48. Croit-il donc qu’il ne trouvera pas son Tutundju-Oglou?). Les 32 especes d’ecriture mandjou, dont il parle si mal a propos pour appuyer le reproche qu’il vient de faire aux savans Chinois, ne sont autre chose que differentes manieres de former les memes caracteres, et il serait par consequent superflu de [193] refuter l’assertion de M. Klaproth a ce sujet. D’ailleurs personne ne revoque en doute sa complete ignorance de la calligraphie mandjou.

3°. Nous nous contenterons, en reponse a la troisieme observation de M. Klaproth, dans laquelle il semble nous menacer d’une refutation, de lui conseiller sincerement de ne pas entreprendre un travail aussi disproportionne avec ses forces, qu’inutile a la litterature; car des paradoxes, de quelques couleurs qu’on s’efforce de les revetir, restent toujours des paradoxes, aussi bien que les diverses nations, dont il a peuple la Mongolie, resteront eternellement dans le domaine des fictions. Je pourrais encore conseiller a, M. Klaproth, de concert avec plusieurs ecrivains estimables, de remplir ses loisirs d’une maniere plus utile, en s’occupant de revoir ses ouvrages anterieurs, dans lesquels on retrouve en general aussi peu d’exactitude dans ce qu’il traduit, que peu de solidite dans les choses qu’il se mele de juger.

Hyacinthe Bitchoorin.

Òåêñò âîñïðîèçâåäåí ïî èçäàíèþ: Observations sur les traductions et les critiques litteraires de M. de Klaproth. ÑÏá. 1829

© òåêñò - Áè÷óðèí Í. ß. [Èàêèíô]. 1828
© ñåòåâàÿ âåðñèÿ - Òhietmar. 2015
© OCR - Èâàíîâ À. 2015
© äèçàéí - Âîéòåõîâè÷ À. 2001
© Ñåâåðíûé àðõèâ. 1828